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Le numérique éducatif, entre métamorphose et métanoïa, dernier épisode

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Le numérique éducatif, entre métamorphose et métanoïa. La porosité de l’espace et la dilution du temps au service de la convergence pédagogique. Découvrez ce point de vue par Jean-Paul Moiraud, en 3 parties.

III.     Le temps

C’est peut-être ici le point le plus sensible du débat, celui qui contraindra probablement l’institution à prendre des décisions fortes car il engage le champ du politique. Il est difficile, de mon point de vue, de vouloir faire évoluer les postures pédagogiques en ne changeant rien à l’organisation sociale. Les « nouveaux » modes d’apprentissage (disons encore considérés comme tels) s’exercent actuellement dans un environnement juridique qui peine à suivre les évolutions technologiques. Il faudra à terme que les institutions soient en phase avec les constructions numériques qui sont et seront mises en place sur le court, moyen et long terme.

En intégrant une plateforme Moodle, on transforme les organisations de façon plus profonde qu’il n’y paraît. L’environnement technologique tend à modifier l’organisation sociale.

L’accès à la connaissance est moins tributaire du lieu physique de regroupement et beaucoup plus du lien serveurs / terminaux numériques (ordinateur, tablette, smartphone). Historiquement, enseigner et apprendre sont deux postures qui se définissent par la présence physique dans un lieu et un temps spécifié. Michel Foucault[37] à propos de ce temps disait : « Dans les écoles élémentaires, la découpe du temps devient de plus en plus ténue ; les activités sont cernées au plus près par des ordres auxquels il faut répondre immédiatement. […] Le temps mesuré et payé doit être aussi un temps sans impureté ni défaut, un temps de bonne qualité ».
L’école et l’université ne semblent pas déroger au principe énoncé.

L’organisation de l’enseignement est conditionnée par l’élaboration et le respect d’un emploi du temps (le cours magistral, le travail dirigé). Il est, de façon générale, pensé dans le cadre d’une configuration spatiale physique (l’école, le collège, le lycée, l’Université, le centre de formation).

Le travail, hors l’espace physique, est intégré mais c’est plutôt à la marge.

Ainsi lorsque le travail en ligne abolit les frontières entre le réel et le virtuel (espace unique), ce n’est pas sans incidence sur le mode de travail des enseignants. Comment s’opère la confrontation de l’usage et du réglementaire ? Moodle invite la communauté enseignante à se pencher sur cette question.  Quand commence le temps de travail et quand s’achève t-il ?

Sa définition devient complexe car l’existence du dématérialisé doit composer avec la représentation classique. L’espace physique (classe, amphithéâtre, salle de TD) situé au sein d’une structure immobilière (école, collège, Université) reste un critère de référence pour qualifier un enseignement. Quid de l’exercice dans les espaces numérisés ?

Les textes officiels ne plaident pas encore pour une répartition des tâches entre le réel et le virtuel. Le statut des enseignants chercheurs[38] précise certes que « « I. ― Le temps de travail de référence, correspondant au temps de travail arrêté dans la fonction publique, est constitué pour les enseignants-chercheurs :

« 1° Pour moitié, par les services d’enseignement déterminés par rapport à une durée annuelle de référence égale à 128 heures de cours ou 192 heures de travaux dirigés ou pratiques ou toute combinaison équivalente en formation initiale, continue ou à distance » La volonté affichée d’intégrer le travail à distance est plus que nuancée par l’expression « Le cas échéant » : « Art. 3.-Les enseignants-chercheurs participent à l’élaboration, par leur recherche, et assurent la transmission, par leur enseignement, des connaissances au titre de la formation initiale et continue incluant, le cas échéant, l’utilisation des technologies de l’information et de la communication.»

 Le travail distant et / ou numérisé se généralise dans les usages. Il est une réelle dimension de la vie universitaire mais les textes peinent à suivre pour que les usages soient institutionnellement pris en compte. Nous restons encore sur la base d’un timide « cas échéant » qui nous montre la direction mais il doit être amplifié pour stimuler les initiatives.

L’enseignement secondaire oscille lui aussi entre la volonté bien assise de développer le numérique tout en dissociant le réel du virtuel. L’Arrêté du 12 février 2007, consolidé le 13 septembre 2015[39]  précise quelles sont  les modalités d’exercice des actions d’éducation et de formation autres que d’enseignement pouvant entrer dans le service de certains personnels enseignants du second degré. On y retrouve mentionné « Usage pédagogique des technologies de l’information et de la communication /../ Activités liées à l’utilisation des technologies de l’information et de la communication». Ce qui est techniquement unifié est encore socialement et administrativement scindé.

Malgré tout, nous commençons à percevoir les évolutions, de nouvelles attentes qui s’expriment. La pérennité de la porosité des espaces rend techniquement possible le travail ubiquitaire. C’est une façon détournée de dire que le télétravail[40] est un champ qu’il va falloir sérieusement explorer sur le court / moyen terme. La technologie numérique pervasive a résolument transformé la façon d’envisager les rapports sociaux. Nous aurons à lutter contre des représentations bien ancrées, notamment celle du besoin (réel ou supposé) de voir l’autre pour contrôler[41] ses actions. Nous aurons à définir un autre mode d’organisation, celui qui instaure les pratiques de confiance. J’ose ici évoquer le concept de « care organisationnel ».

Dans la pratique le temps de travail dans les espaces numériques existe mais il n’est pas le calque du travail en présentiel. Notre système de formation s’est profondément et durablement transformé. Il apporte autant de réponses qu’il ne pose de questions.

Pour le moment nous naviguons entre usages féconds innovants et réglementations qui sont à la peine. Nous voyons émerger un temps gris non pris en compte qui est le champ des futures évolutions législatives. Il est pour le moment le ferment d’activités chronophages qui peuvent, à bien des égards, rebuter certains d’entre nous.  Le temps est, dans ce domaine, la solution aux questions de temps, il faudra que nous soyons patients et que nous répondions aux interrogations par le prisme de l’usage et de l’expérimentation argumentés.

Conclusion

Moodle s’est inscrit durablement dans le paysage de la pédagogie universitaire. Beaucoup voudrait y voir une simple inclusion d’un objet technique, domaine des spécialistes de la chose informatique pour débats disciplinaires en silos. Au-delà de l’objet technologique c’est une transformation radicale que nous sommes en train de vivre parce qu’elle induit un renversement de la pensée (métanoia). Elle est radicale dans le concept, elle l’est moins dans les usages parce qu’il faut leur donner le temps de s’installer.

Moodle nous démontre avec force que l’humain est plus que jamais présent dans les processus de formation. Nous ne pouvons vivre dans cette illusion que les étudiants peuvent apprendre seuls, même dans un environnement qui met à disposition une quantité jamais inégalée de connaissances.

Il est fort probable que Moodle soit la digne héritière du Vizir Abdul Kassem Isma’il comme nous le rappelle Alberto Manguel[42] : «  Au Xème siècle, par exemple, le grand vizir de Perse, Abdul Kassem Isma’il, afin de ne pas se séparer durant ses voyages de sa collection de cent dix-sept mille volumes, faisait transporter ceux-ci par une caravane de quatre cents chameaux entraînés à marcher en ordre alphabétique ». Le désir d’un encyclopédisme ubiquitaire au service du savoir est la tâche qui incombe à Moodle et à la communauté qui instrumente ses fonctionnalités.

Nous pouvons nous permettre d’imaginer le futur Universitaire mais à la condition que nous soyons en capacité de continuer notre métamorphose et à nous inscrire dans un processus de renversement de la pensée (la métanoia).

REVOIR L’ÉPISODE 1 et REVOIR L’ÉPISODE 2

[37] Michel Foucault, « surveiller et punir », Paris, Gallimard, 1994

[38] Statut des enseignants chercheurs, (Officiel) n°0097 du 25 avril 2009 page 7137
texte n° 9

[39] Décret du 12 février 2007, consolidé le 13 septembre 2015 http://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000000273771&dateTexte=

[40]  Loi Sauvadet (n° 2012-347) du 12 mars 2012 http://bjfp.fonction-publique.gouv.fr/docresult?id=%2fAlfresco%2fValides%2f|41a94a54-703f-44c9-9b14-37d3130f8a42&docrank=0&resultid=2E1211D5A85941EBB16E0AE448758DBD

[41] Michel Foucault, « Surveiller ou punir », Collection Tel, Gallimard

[42] Alberto Manguel, « Une histoire de la lecture », Actes Sud, 2000

 

Retrouvez cet article et les publications de Jean-Paul Moiraud sur son blog.


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